Comme tous ceux qui exécutent les tâches incontournables dans leur foyer, je râle souvent.
Je râle contre la vaisselle qui traîne dans l’évier.
Je bougonne contre les saletés laissées sur le sol par mes enfants qui ont oublié de retirer leurs chaussures en rentrant.
Je rouspète contre le pull qui traîne sur le canapé.
Je grogne devant le frigo où agonise le dernier morceau de beurre sans que quiconque ait pensé à le noter sur la liste de courses.
Je ronchonne à propos de la tasse oubliée sur la table, le panier à linge qui se remplit, les miettes dispersées sur le plan de travail de la cuisine.
Vous vous reconnaissez ?
Le problème, c’est que ces « corvées » sont incontournables — en tout cas quand, comme moi, on n’aime pas trop vivre dans le fouillis ou que ses enfants mettent trois jours de suite le même slip faute de linge propre !
Voilà pourquoi hier, je suis sortie avec ma bassine et mes pinces à linge, dérangeant au passage le rouge-gorge qui s’est perché un peu plus loin. Il faisait beau, un petit froid piquant en passant à l’ombre et une agréable tiédeur sur la nuque dans les flaques de soleil.
C’est alors que cette besogne qui s’imposait à moi quelques secondes plus tôt est devenue un plaisir.
Secouer les vêtements un à un, les défroisser. En saisir les coutures pour les installer le plus proprement possible sur le fil. Placer les pinces avec soin de part et d’autre. Aligner les chaussettes, les appairer sur la pieuvre qu’on fait tourner au fur et à mesure, pour l’accrocher, lorsqu’elle est pleine, plus haut sur la pergola. Dans le mistral qui se lève, les couples colorés dansent.
Un fil est rempli, je passe au suivant. Je m’applique. J’égrène sur le fil les t-shirts noirs de mon aîné, dans sa période Metal, les Pokémon du plus jeune. Mon mari : un pull de géant. Une manche d’un de mes chemisiers s’emmêle avec celle du pull et s’entortille. Devant moi, les tissus fument : la vapeur d’eau s’élève avec régularité vers l’olivier qui nous surplombe.
Le rouge-gorge est revenu, il sautille sur le grillage.
Une odeur mouillée m’entoure, je me faufile entre les t-shirts qui pendent. Le vent les gonfle, on dirait qu’ils sont soudain habités de corps invisibles.
C’est un instant très calme, une pause dans la journée bien remplie. Un temps en suspens, un temps de soin : laisser le soleil et le vent s’infiltrer dans les fibres, les mêmes qu’on collera demain à notre peau.
Demain, sûrement, je râlerai de nouveau, mais aujourd’hui, je décide d’accueillir la simplicité de ces gestes avec gratitude. Et de rester, quelques secondes de plus, à regarder la vapeur d’eau qui s’envole.