Il y a des idées, comme ça, qui vous prennent un matin, on ne sait pas pourquoi.
Cette fois, c’était en regardant les photos d’une cousine, sur Insta. Elle était partie marcher dans les Pyrénées et ça m’a fait envie.
Me voici donc en route vers la vallée de la Clarée. La tente est dans le coffre. J’ai prévu confortable, j’ai une table pliante et un bon fauteuil, de quoi me faire des boissons chaudes. J’ai même deux duvets : il est possible qu’il fasse un peu frais.
Mouaf. Un peu frais. Naïve que je suis.
Je quitte donc Toulon, 36 degrés au thermomètre de la voiture, en début d’après-midi.
Quelques heures de route plus tard, ma voiture attaque vaillamment les rues de San Francisco… euh, je veux dire, de Briançon. Le jour décroît à toute vitesse. J’espère avoir le temps d’installer le campement avant la nuit.
19h tapantes, me voici au camping de la Lame, à Névache. En famille, nous avions nos habitudes dans la partie sauvage du camping, mais j’opte pour le grand luxe et trouve un emplacement pas trop loin des sanitaires. Je m’étonne de voir si peu de tentes. Les quelques vacanciers sont en van ou en camping car. Je vais vite comprendre pourquoi…
Ma notion de “proche” des sanitaires est à revoir quand je me rends compte que je me suis exilée tout au bout, juste à côté du panneau “fin de zone de camping”. Pour le pipi de nuit, ce sera dans les buissons près du torrent, tant pis.
Le soleil a disparu derrière la Roche des Sueurs, qui domine ce coin de vallée. Une paroi grise, d’où dégoulinent des coulées vertes de conifères. L’obscurité gagne vite : à 21h, il fait déjà nuit noire. En frissonnant, je me glisse sous les duvets. C’est le début d’une longue, très longue nuit.
22h : je me suis endormie sur ma lecture. La main qui tient le livre est engourdie. Pas moyen de savoir, à la seule lueur de la frontale, si elle est bleue mais je ne sens plus mes doigts. D’un geste maladroit, je retire mes lunettes qui semblent avoir gelé contre ma peau. Je me rencogne sous le duvet.
22h10 : bizarre, je ne sens plus mes pieds non plus. En grelottant, je tente une sortie : j’attrape une paire de chaussettes que j’enfile, non sans avoir compté auparavant mes orteils. L’amputation ne sera peut-être pas pour aujourd’hui.
22h20 : pas moyen de me rendormir. Je repasse en boucle le film vu quelques semaines plus tôt, sur ces naufragés d’un crash d’avion dans les Andes. Mon cerveau est vraiment bizarre, je ne vois vraiment pas pourquoi il pense à ça…
23h : mes pensées tournent en rond, se déploient sous la tente, gèlent instantanément et se brisent au sol en fragments glacés. Je tente une deuxième sortie pour enfiler ma polaire sur mon pyjama.
01h : j’ai dû dormir un peu. Je remue les pieds et les mains. C’est bon, ça réagit. Je referme les yeux.
01h02 : flûte, j’ai envie de faire pipi.
01h04 : pas question que je sorte de là. Je viens de passer juste le haut du crâne et la température ressentie à l’intérieur de la tente est d’environ moins 12.
01h06 : je ne vais jamais tenir jusqu’au matin, il faut que je sorte. Je dresse le cou. Pas moyen, je reste.
01h15 : après une lutte acharnée avec ma vessie, celle-ci gagne. Le plus vite possible, je me tortille hors du sac de couchage. Il s’enroule autour de mes jambes, me saucissonne. Je crois qu’il a peur que je ne revienne pas.
01h20 : j’ai réussi à enfiler mes chaussures et à sortir. Dehors, le vent souffle. On va me retrouver au matin, comme Jack Nicholson à la fin de Shining. Je songe déjà à mon épitaphe.
01h22 : je suis de retour sous la tente. C’était le pipi le plus rapide de toute ma vie.
01h25 : à la manière d’une larve qui s’extrait de son cocon – sauf que là, je fais l’inverse – je me réenfile dans mon lit. Le matelas grince. C’est un matelas toulonnais, il n’est pas habitué, le pauvre.
03h30 : nouvelle phase de sommeil. Je me demande ce qui m’a réveillée, cette fois. Vessie prête à exploser ? non. Orteils décédés ? non plus. Je contrôle mentalement mon visage, seul exposé à l’air libre. A part ma truffe gelée, tout semble aller bien. Le bruit du torrent est normal : pas d’iceberg dévalant le cours d’eau. Je convaincs mon cerveau de replonger dans le sommeil, en lui promettant du café chaud au réveil.
06h : je suis réveillée par des tremblements incontrôlés de tout le haut du corps : j’ai le torse complètement sorti de sous les épaisseurs chaudes. Dans mon rêve, j’étais dans l’avion en haut des Andes, où je tentais de m’extraire de l’avalanche qui venait de m’ensevelir. Tout va bien.
06h10 : quitte à ne plus dormir, je me lève, histoire de me décongeler en marchant. De toute façon, mon cerveau est bloqué en boucle sur le mot café qu’il me hurle intérieurement depuis 10 minutes.
06h20 : mes doigts gourds ont réussi à allumer le butagaz. En attendant qu’il chauffe, je remets les gants et je sautille sur place. Le soleil va mettre encore deux heures à apparaître au dessus de la montagne.
Quand je pense qu’au dernier moment, en songeant aux après-midi d’été à Névache, où la chaleur qui règne à la tente peut être insupportable, j’ai glissé un maillot de bain dans mon sac… Quelque chose me dit que la bronzette n’est plus de saison !
L’année dernière, j’y suis allé au début du mois d’août. A 6h du matin, j’ai tenté de me faire chauffer de l’eau. Rien ne sortait de la bouteille. Celle-ci était devenue un bloc de glace durant la nuit. (Très) rude d’attendre son café dans ces conditions…
Euh ? Tu ne te souviens plus d’un été où il y avait des perles de glace sur la tente le matin ? Ceci dit j’ai un souvenir ému des moustiques pris dans la glace de la bassine à vaisselle en septembre 1978 à Névache aussi ….
Ah si si, mais honnêtement, je ne m’attendais pas à ce qu’il fasse aussi froid… y compris dans la journée ! Je crois que je suis vraiment devenue sudiste…