En bonne hyperactive, j’ai souvent rêvé de pouvoir me contenter de quelques heures de sommeil. Pouvoir rallonger sa journée afin d’avoir le temps de faire tout ce que j’ai prévu : le pied !
Malheureusement, il s’avère que, comme tout le monde, j’ai besoin de dormir. Et qu’en dessous d’un certain nombre d’heures, non seulement je ne suis plus du tout opérationnelle, mais en plus, je mords. Entre apathie et agressivité, j’ai choisi.
Pendant des années, comme tout le monde, j’ai dû me lever à une heure que je ne choisissais pas, souvent très tôt pour cause de transports. Pas question d’arriver en retard : n’importe quel enseignant qui a dû récupérer 35 gamins en permanence, ravis d’échapper au cours du matin, vous dira que c’est l’enfer absolu pour réussir ensuite à les ramener en classe, et à les mettre en condition de travail. “La prof n’est pas là, ouééééé !” suivi du “Et merde !” quand ils vous voient apparaître au bout du couloir, sont les réactions habituelles et je vous assure qu’après l’avoir vécu une fois, vous vous arrangez pour être toujours à l’heure, voire en avance.
Bref. Cette histoire du réveil-matin, l’air de rien, c’était un stress constant. Pour moi qui ai toujours eu du mal à m’endormir le soir, et dont le cerveau fonctionne à plein régime entre 20h et minuit, ça a toujours été difficile d’aller me coucher suffisamment tôt pour être sûre d’avoir mon content de sommeil, et éviter la bavure (bizarrement, on est beaucoup plus tenté de passer un élève casse-pied par la fenêtre quand on n’a dormi que 4 heures la nuit d’avant…). J’ai connu les heures passées, en mode hibou, yeux grands ouverts, à me répéter “il faut que tu dormes, il faut que tu dormes”. Mantra totalement inefficace, évidemment.
Puis la maladie est arrivée. Arrêt de travail, plus d’horaires, plus d’inquiétude : si je ne dormais pas assez la nuit, je rattraperais le matin ou à la sieste… Sauf que… la dépression avait amené avec elle une jolie variété de troubles du sommeil. Dans un premier temps, il m’a fui. J’ai vécu pendant des semaines cette expérience étrange d’être tout le temps épuisée, et pour autant, incapable de dormir plus de quelques heures d’affilée. L’état cotonneux dans lequel on évolue alors brouille tout, la réalité devient floue, les frontières entre jour et nuit se fondent, le temps se disloque.
Avec les médicaments, c’est l’inverse qui s’est passé : je me suis mise à dormir. Tout le temps. Des heures. La nuit, le jour. “C’est votre corps qui récupère” me disait le médecin. Ok, mais le résultat est le même que quand on ne dort pas : décalage complet avec les autres, brouillage de la réalité, cerveau au ralenti, engourdi, anesthésié.
Petit à petit, j’ai recommencé à fonctionner le matin, et à ne dormir plus que l’après-midi. Les siestes ont raccourci, voire disparu certains jours. Est arrivé le moment où j’ai pu vivre une journée complète sans m’assoupir, puis deux ou trois d’affilée. Progressivement, je suis redevenue active. Parfois au prix de brusques épuisements qui me laissaient sur le flanc : trois jours d’activité, deux jours de récupération !
Lentement mais sûrement, cela s’est régulé. Signe le plus flagrant de la guérison.
On dit que les régimes détraquent le métabolisme, que le corps ne sait plus fonctionner normalement ensuite, qu’il stocke quand il doit éliminer, qu’il déclenche des sensations de faim alors qu’on sort de table… la mécanique est déréglée. Je ne sais pas s’il en est de même pour le sommeil. Ce que je sais c’est qu’il est désormais rare que je fasse une nuit complète. Il peut être minuit, deux ou quatre heures du matin, pouf ! mes yeux s’ouvrent, je n’ai plus aucune envie de dormir, mon cerveau se met à carburer : liste de courses, tâches du lendemain, projets divers, le voilà en pleine activité, comme s’il démarrait sa journée.
Au début j’ai tenté la relaxation, inspiration, expiration, visualisation du corps par parties, comptage de moutons et tentatives variées de bloquer le flux de pensées parasites. Aucun résultat. Nada. Niet. Que dalle.
Alors j’en prends mon parti. Finalement, le meilleur moyen de ne pas pâtir de ces insomnies indésirables, c’est de les accueillir comme elles viennent. Parfois je me lève, je vais marcher dans le jardin, j’écoute l’air de la nuit. D’autres fois je prends ma liseuse et j’avance mes lectures. Plus je résiste, moins je dors. Moins j’essaie de lutter, et plus vite le sommeil revient me prendre. Je devrais en prendre de la graine : c’est le summum du lâcher-prise.
J’accepte d’autant plus cet état de fait que j’ai maintenant le bonheur de travailler à la maison. Alors si jamais après le déjeuner je pique un peu du nez, ça ne fait de tort à personne et le corps prend dans la journée ce qu’il n’a pas eu en suffisance la nuit passée.
Il arrive aussi que, comme la nuit dernière, ce soit même des moments constructifs… ainsi, après avoir croisé le chat près du frigo (j’y allais pour boire un coup, il me suivait dans l’espoir d’avoir du lait), me revoilà au lit, yeux fermés, à laisser monter les pensées, comme les bulles colorées dans les lampes à lave des années 80. Plop, des mots s’agencent pour un poème. Plip, une strophe se forme. Plop, une idée surgit. Une deuxième. Un personnage se dessine. Plip plop plop, voilà une trame qui se met en place.
Quand j’ai été sûre que plus rien ne remontait à la surface, je me suis levée, j’ai pris mon carnet, j’ai tout noté, je me suis remise sous le drap, tête sur l’oreiller. En cinq secondes, je dormais.
Ce matin, je suis allée voir ce que j’avais écrit : il arrive bien souvent que les idées qu’on croyait géniales à la lumière de la lune nous paraissent grotesques quand le jour est levé. Mais là, non… voilà un texte qui s’est ébauché d’un côté, pour mon prochain projet de calligraphie, et les contours d’un prochain roman qui sont tracés sur la page… Finalement, les insomnies ont du bon !