Voilà pratiquement 15 ans que ses mains expertes me triturent en tous sens. Une à deux fois l’an, j’entre dans son cabinet, je m’étends sur sa table. J’en ressors moulue, avec l’impression d’être passée dans une machine à laver, mais deux jours plus tard, mon corps me remercie.
Quand ils étaient petits, les enfants l’appelaient « la dame des massages ». Maintenant, comme moi, ils disent son prénom : Céline. On se tutoie même depuis quelque temps.
C’est très bizarre cette familiarité ! Pourquoi cette fille que je rencontre, quoi, quatre heures par an, j’ai le sentiment de la connaître, d’en être proche ? Il faut dire qu’on papote, sur la table. Une heure de consultation, où mon corps devient pâte à modeler entre ses mains, ça rapproche ! Au fil du temps, elle a vu grandir mes ados. Je connais le prénom de ses enfants, le métier de son mari. On se raconte nos petits tracas, on échange sur l’éducation, les enfants, le sport. On finit par savoir pas mal de trucs l’une sur l’autre.
Mais surtout, à l’instar de certains médecins, elle a un super pouvoir : quel que soit l’état dans lequel on arrive, il suffit qu’elle sourie et nous salue, et ça y est, on se sent déjà mieux. D’ailleurs, on n’a pas besoin de dire grand-chose au début : notre corps parle pour nous. Elle le parcourt comme une carte, elle fait le point. Ses doigts se baladent, ses yeux nous scrutent : une torsion ici, une vertèbre décalée, une cervicale coincée, rien ne lui échappe.
On n’est jamais si vulnérable que sur une table d’examen, alors tout ce qu’il nous reste à faire, c’est de se laisser aller. Lever la jambe, respirer, accompagner le mouvement, sentir les os se remettre en place en douceur. Accepter que sa carcasse, dans toute sa fragilité, soit touchée, manipulée par des mains nues et étrangères. Étonnante familiarité, décidément. Mais le corps ne s’y trompe pas : il fait confiance. Et ces mains étrangères deviennent des intimes, elles traquent les points à revoir, elles connaissent les mauvaises habitudes de notre colonne, savent où le déséquilibre se niche dans notre bassin. Les doigts se posent sur le crâne et on sent tout notre petit mécanisme interne qui bouge.
Il y a quelque chose de magique dans la relation qui s’installe. Acceptation totale de ce contact. On s’abandonne.
En partant, on prend conscience qu’on n’a pas seulement laissé derrière nous les tensions physiques. On s’est aussi délivré de quelque chose de plus profond. Les trucs un peu sombres qu’on garde en soi sont allés se diluer dans son sourire. Des nœuds intérieurs se sont défaits quand elle a serré son corps contre le nôtre pour une manipulation plus délicate.
Il y a quelque temps, on applaudissait nos soignants. Ceux qui sauvent dans les hôpitaux, bien sûr. Mais il existe aussi ces soignants du quotidien : le généraliste à l’écoute, même quand vous venez le voir pour une petite crève de saison. Le kiné qui vous accompagne un bout de chemin après un accident. La sage-femme qui veille sur votre corps de mère, en constante évolution. Et pour notre famille, en plus, il y a Céline, qui nous remet droit et debout.
Des mots toujours aussi bien employés, un texte qui sort du plus profond de son cœur nous donne un hommage splendide.
J’aurai aimé écrire ceci et j’aurai aimé répondre cela (comme ça Celine)
Ce texte est tellement touchant ! Je ne m’y attendais pas ! Merci énormément. Certains liens se construisent avec certains patients , avec certaines familles ! Et vous en faite partie! Je grandis aussi après de vous, aussi bien dans ma vie personnelle , que dans mon métier. Merci à Toi !!