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Maman

Bon, allez courage.
J’ai d’abord pensé à faire une story, ou un reel, un petit truc l’air de rien, l’air de ne pas y toucher. Puis je me suis dit qu’elle méritait bien un article, un portrait, bref, un truc un peu plus imposant.
Alors je me lance. Pas facile. Parce que la pudeur, chez nous, c’est plus qu’un comportement passager, c’est carrément un art de vivre. Un mot gentil ? Vite détourné par une pointe d’humour. Une déclaration ? Jamais prononcée, écrite parfois, mais rarement assumée face à face. On s’aime, c’est sûr. « Mais de là à en dire des phrases, trop de pudeur », comme dans la chanson des Chedid.

Le 14 février, pour tout le monde, c’est la Saint-Valentin. Mais chez nous, c’est l’anniversaire de ma mère. Grosse pensée pour le frangin qui, ado, s’il achetait un bouquet pour elle ce jour-là, devait systématiquement détromper la fleuriste… « Alors, c’est pour ta petite fiancée ? » « Non, c’est pour ma mère ! ». Bro, si tu me lis, je compatis pour ces moments.

Cette année, c’est la première fois depuis longtemps que je ne serai pas avec elle pour son anniversaire. Ça fait bizarre, même si je sais qu’on doit se voir bientôt. Des choix familiaux ont présidé à cette séparation géographique.
L’avantage de la distance, c’est qu’elle effrite les agacements qu’on peut avoir lorsqu’on se fréquente au quotidien. Pour autant, pas d’idéalisation !
Comme tous les enfants, je lui ai reproché des trucs. Il y a un toujours un moment où on en veut à nos parents de ne pas avoir été si parfaits que ça. Et comme mon père avait eu le mauvais goût de combattre le crabe, et de perdre le combat, c’est elle qui a tout pris : la responsabilité de finir de m’élever, les reproches, les mises au point. Ingratitude des jeunes gens qui, apprenant à se connaître, n’en reviennent pas que leurs parents n’aient pas su les deviner, s’ajuster impeccablement à eux.

Avec l’âge, et la parentalité, on comprend qu’ils n’ont fait que de leur mieux. Se tromper, être à côté de la plaque, provoquer des blessures et rater magistralement les choses, c’est inévitable quand on doit élever une graine d’humain. C’est en tous cas ce que je constate en m’efforçant d’en faire pousser deux…

Maintenant que je suis adulte (enfin je crois), quelle image ai-je de ma mère ?

Ma mère est un étrange mélange entre une rudesse assumée — elle se définit elle-même comme une « maman ours » — et une générosité sans limites. Pour ceux qu’elle aime, elle est capable de chambouler sa vie, son organisation, ses plans.
Alors forcément, ce genre de capacité ne va pas sans un certain mental de guerrière. Le genre à dire « prend un cachet » quand on a mal à la tête plutôt qu’à poser une main compatissante sur votre front. Le type de femme qui n’a jamais laissé la moindre douleur l’empêcher de faire ce qu’elle avait prévu. Pourtant, comme tout le monde, elle a ses petites misères. Mais quand une sciatique nous clouerait au fauteuil, elle choisit, elle, de lutter en marchant ses deux heures par jour. Quand la grippe la prend, elle se fourre au lit vingt-quatre heures puis décide que c’est bon, elle est guérie, et la grippe, dépitée, décide d’aller voir ailleurs. (ma mère, c’est Chuck Norris)

La notion de « cocooning » ne fait pas trop partie de son vocabulaire. L’idée même d’un « massage bien-être » la hérisse. Même malade, elle a bien du mal à se laisser dorloter. Sans doute parce que l’état de faiblesse, même passager, l’insupporte, tant sa nature active la pousse à mener sa journée avec énergie. (J’avoue, elle me fatigue !)

Exigence physique, et exigence morale. Elle a érigé la liberté de penser au rang d’art. Même si, plus jeune, je ne comprenais pas bien le principe de « ne pas bêler avec les moutons », je lui suis reconnaissante de m’avoir fait gagner en indépendance. Au prix, peut-être, d’une certaine solitude parfois, mais comme on est tous un peu sauvages dans la famille, ça me convient bien.

Arrivée là, je me rends compte qu’il est bien difficile de faire son portrait sachant qu’elle va me lire… au pire, ça fait élégie précoce, au mieux, compliment de fête des Mères, à-toi-la-meilleure-des-mamans-que-j’aimerai-toute-ma-vie. (Donc maman, si tu me lis, promis, je ne suis pas en train de réfléchir à ton éloge funèbre !)

Je crois juste qu’aujourd’hui, j’avais envie de poser ici quelques mots sur celle qui m’accompagne dans la vie depuis 45 ans.
C’est drôle, la relation qu’on a en vieillissant avec sa propre mère. Les lignes ont bougé. On ne se sent plus enfant. On n’éprouve plus le besoin de régler ses comptes comme une ado rebelle. On ne quête plus l’approbation comme une jeune adulte qui veut faire par elle-même, mais s’assure tout de même de faire les choses comme il faut (ou comme sa mère ferait ?). On se dit qu’on s’en sort pas trop mal toute seule.

Parfois on se retrouve même dans la position de celle qui aide et soutient. On trouve ça normal, le temps avance, progressivement les rôles s’inversent.

Mais dans cette phase où l’on n’est pas encore aidante, et où l’on n’a plus vraiment besoin d’être aidée, on peut juste profiter du plaisir de vivre une relation riche et belle.
Nous sommes toutes deux femmes, mères, sœurs, filles de… et tous nos rôles se rejoignent, pour n’être plus que deux âmes, qui savourent la joie de cheminer côte à côte sur cette Terre.

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