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Dialogues de bêtes

Avant d’écrire, je lisais. J’ai plongé dans les mots à trois ans et demi, quand ma mère m’a appris à lire et je ne crois pas avoir passé une seule journée depuis sans avoir lu au moins quelques lignes.
Petite fille, ma maman m’emmenait à la bibliothèque municipale. J’y dévorais bien sûr tout ce qui passait à ma portée. Je ne sais plus à quel âge j’ai eu envie de quitter le rayon enfants pour aller découvrir la salle d’à côté, qui me paraissait remplie d’ouvrages bien plus intéressants… mais je sais que la bibliothécaire m’avait assez vite repérée.
Ravie, sans doute, de voir une gamine haute comme trois pommes si mordue de lecture, elle me conseillait. Un jour, voilà qu’elle me met dans les mains un livre “de grands”, dont elle me vante les mérites. Un seul nom pour l’auteur : “Colette”. Et un titre intrigant : “Dialogues de bêtes”. Ce qu’elle me dit de l’œuvre me tente bien, je l’emprunte.
“Tu vas adorer, me dit-elle.”

J’ai détesté.
Complètement, viscéralement.
Peu de livres dans ma vie ont déclenché ce sentiment. Certains me sont tombés des mains car trop longs (sans doute parce que je les ai lus trop jeunes), certains m’ont ennuyée, d’autres m’ont déçue. Mais je peux faire une liste d’à peine dix livres que j’ai vraiment détestés au point de les fermer dès les premières pages en me jurant de ne jamais y remettre le nez.

Pourquoi ce rejet ? Aucune idée. Dans mon souvenir, assez vague, j’avais trouvé complètement ridicule de faire parler des animaux. Sans mettre ces mots là, le procédé me semblait artificiel et le résultat grotesque. Je ne me souviens plus si j’avais osé dire à la bibliothèque tout le mal que je pensais de cette fameuse Colette, que j’ai en revanche reléguée dans le groupe honni des écrivains “nuls” ! (je sais, je sais, la petite fille que j’étais manquait de nuances). Au point de ne plus jamais rouvrir un livre d’elle !

J’ai deux chats. Oui, je balance ça sans transition. Mais vous allez voir, si si, il y a un lien avec ce qui précède.
Je situe le contexte : depuis que j’ai des chats (depuis 20 ans environ), je n’ai eu que des chats mâles. Prozac et Napoléon ont ainsi passé 15 ans à nos côtés. Quand Napoléon a rejoint le paradis des chats (où il a, je suppose, croquettes à volonté, un coin au soleil pour sa sieste et un ou deux anges complaisants qui lui prêtent une de leurs plumes pour jouer à chasser), nous avons voulu adopter deux chatons. Mâles. (ne cherchez pas, à l’époque, je trouvais ça logique).
Or, suite à une petite erreur de diagnostic de la part du copain qui m’a fait adopter nos deux poilus actuels, en fait de deux mâles, deux frères de la même portée, nous nous sommes retrouvés avec un mâle, Zorro, et une femelle, Ziggy. La différence s’est fait sentir assez vite. Dès qu’il l’a pu, Zorro a joué les caïds avec les autres chats du lotissement, a commencé à marcher en roulant des mécaniques, mais est totalement en vénération devant nous (sans doute parce qu’il a la reconnaissance du ventre, puisqu’il rapplique à toutes pattes dès qu’on secoue la gamelle).

Ziggy, en revanche… une vraie princesse. Courbant l’échine pour éviter qu’on la caresse, sauf au moment où elle l’a décidé… miaulant pour se faire ouvrir alors même qu’ils ont une chatière… daignant monter sur nos genoux seulement quand on étend les jambes d’une certaine façon et affichant une totale indifférence pour l’inconfort de cette posture pour nous. Indépendante, elle avait entrepris de s’incruster chez des voisins… en choisissant évidemment les seuls avec lesquels nous avions du mal à nous entendre… pour finalement décider deux mois plus tard, après plusieurs conflits entre les humains qui la nourrissaient (nous) et ceux qu’elle manipulait (eux), de revenir chez nous et d’y passer ses journées.

Bref, snob, hautaine, exigeante, et cyclothymique.

Malgré cela, par je ne sais quelle diablerie, elle a réussi à faire de moi son esclave personnelle. Je râle, mais je lui ouvre la porte dès qu’elle miaule. Je lui mets les friandises qu’elle réclame dans sa gamelle préférée, une vieille coupelle en argile sur la table basse du jardin. Je pousse des petits cris attendris quand je la vois arriver de l’extérieur. Je tends la main, pensant à chaque fois qu’elle vient me saluer, et, immanquablement, elle se détourne au dernier moment pour passer à un mètre de moi. Je me fais avoir à chaque fois.
Mais il suffit qu’elle se love sur moi la nuit pour que je n’ose plus bouger, il suffit qu’elle ronronne sous ma main pour que je lui pardonne tout.

Et surtout, je lui parle. Tout le temps. Elle me rend visite quand j’écris ? je commente le passage en cours, la tient informée. Elle passe entre mes jambes pendant que j’étends le linge ? je lui demande où elle était, si elle a attrapé un criquet ou des lézards. Elle arrive dans la cuisine ? je lui demande si elle préfère thon ou saumon pour sa pâtée du soir.
Je suis devenue la “foldingue aux chats” de la résidence. Et je n’ai même pas honte.

Je songeais à cela hier en me demandant les raisons de cet attachement irraisonné. D’autant qu’elle me répond rarement, la bougresse. Elle affiche avec une belle constance un air d’indifférence absolue pour tout ce que je lui dis. Parfois, simplement, elle lève la tête après un de mes monologues roucoulant à son intention, me regarde longuement, plisse les yeux, tend le museau vers moi pour vérifier mon odeur. Ça me suffit. Je me contente de peu.

Alors je me dis qu’il faudrait sans doute que j’essaie de nouveau de lire Colette. Je comprendrais sans doute plus de choses à présent. Et peut-être comprendrais-je comment un si petit animal, ingrat de surcroît, peut prendre autant de place dans une vie ?

En attendant, moi qui ai encore tant de mal à me dire écrivain, je me dis que c’est peut-être ça qu’elle essaye de faire, cette bestiole : me mettre au diapason des Colette et des autres, de tous ceux qui ont eu un chat lové sur leur papier, jouant avec leur plume et les regardant chercher l’inspiration avec leurs yeux “mêlés de métal et d’agathe”…
Une chatte snob pour combattre le syndrome de l’imposteur… pourquoi pas ?

2 commentaires sur “Dialogues de bêtes”

  1. Il me semble que tout est dit dans la phrase « J’AI deux chats » … Peut on vraiment AVOIR un chat ?
    Je doute …

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