Toi,
la dame âgée,
coiffée de neige,
qui avance à pas prudents dans l’allée
entre deux cahots
Je te vois
Toi,
l’adolescent
écouteurs aux oreilles
pour te protéger du monde
musique trop forte
regard qui fuit
ta bulle comme un cocon
Je te vois
Toi,
la jeune maman
poussette et cheveux en bataille
trois sacs et un bébé
accrochés à tes bras
regard fatigué
voix lasse
forte pourtant de cette puissance obscure
qui tient debout les mères
pour que leurs enfants puissent s’y appuyer
Je te vois
Toi,
l’homme pressé
qui ne dit pas bonjour
besace en bandoulière
costume et chaussures de ville
mais dont les yeux suivent
un instant
la course d’un oiseau devant la vitre sale
Je te vois
Toi,
la femme qui parle trop fort dans ton téléphone,
l’homme qui se lève pour laisser sa place
l’homme qui détourne le regard pour ne pas laisser la sienne
la femme qui glousse avec son amie
le vieil homme qui commente la politique
à base de chacun chez soi
et de grands mots
comme France et souveraineté
et l’autre homme, derrière lui, qui fronce les sourcils mais se tait
l’élève qui s’arrête au lycée hôtelier
et qui flotte dans son costume un peu trop grand
et celui en casquette et survêt
descendu l’arrêt d’avant
Je vous vois
Parfois, je ferme les yeux
car ma peau à vif perçoit
vos désirs vos envies vos rêves et vos dégoûts
vos colères vos lassitudes
vos chagrins
vos poids
Mais parfois
au milieu de ces corps côte à côte
je regarde l’enfant
et l’enfant me regarde
son rire en cascade sur les parois de métal et de chair
et dans le bus voyageur
par dessus les masques
dans les yeux qui brillent
jaillit une étincelle
de joie.