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La maison des autres

En ce moment, je rends service à une amie en allant nourrir ses poules et son chat. Le félin passe son temps dehors et a investi un fauteuil dans le jardin des voisins, d’où il me guette, chaque matin. Dès qu’il me voit, il se précipite, opère un dérapage pas toujours très contrôlé devant les marches du perron et se frotte à mes jambes jusqu’à ce que j’aie ouvert la porte et servi les croquettes. Je dois pour cela traverser la maison, une vieille bâtisse comme on en fait dans le Sud, avec le salon – par où l’on entre – à l’étage et les chambres en sous-sol, bien au frais contre la terre et la pierre des restanques. 

Vous est-il arrivé, à vous aussi, d’aller vous occuper du foyer d’un ami ou d’un proche en son absence ? N’est-ce pas une impression étrange que de s’introduire ainsi dans un lieu en l’absence de ses habitants ? Les pièces sont silencieuses et vides, la maison est rangée mais il reste peut-être un livre qui traîne sur la table ou un trousseau de clefs oublié sur une étagère. Ni intruse ni invitée, je capture des bribes de vie qui ne m’appartiennent pas. L’odeur n’est pas celle de chez moi, les tableaux au mur témoignent de goûts qui ne sont pas les miens. La maison est jolie, j’aime le vert amande dont ils ont peint les murs, je remarque un coussin dont la couleur irait bien à mon canapé. Mais ce n’est pas chez moi. 

Parfois je m’attarde un instant, j’entre dans la chambre du fils dont la porte est ouverte. Il a l’âge de mon benjamin et sur sa bibliothèque trônent mille petits riens qui font une vie d’enfant : une photo de lui bébé dans les bras de son père, un fossile qui prend la poussière, des legos au milieu des manuels scolaires. 

Le père, la mère, la fille aînée, le plus jeune… c’est une famille comme la mienne ; à quoi tient alors l’âme du foyer ? Qu’est-ce qui fait qu’il s’agit pour eux d’un endroit rassurant où ils se réfugient le soir alors que je m’y sens si peu à ma place ? Et pourquoi, alors que nos vies sont presque parallèles, ce lieu m’est-il si étranger ? Odeurs, décoration, couleur des peintures ou carreaux au sol ? Peut-être. Ou peut-être quelque chose de moins tangible, l’indicible présence des habitants qui imprègne l’espace.

Le chat miaule à mes pieds et me rappelle à l’ordre. Il me semble à présent que je serais indiscrète de rester plus longtemps. Je n’ai rien touché, rien dérangé ; mon passage n’a laissé aucune trace. Je referme la porte sur la maison qui peut recommencer à attendre ses légitimes occupants et je m’en vais, à pas de loup. 

4 commentaires sur “La maison des autres”

  1. J’adore cette écriture et m’émeut cette « indicible présence » qui habite les lieux, qu’on pourrait assimiler aux traces ADN qui restent longtemps après notre passage.

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