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Révolte de printemps

Pelouses, révoltez-vous, on vous tond !

Hier, dans le jardin de ma résidence, une prairie fleurie déployait ses muscaris, géraniums, lobulaires maritimes et autres ornithogales. (Je fais ma savante, mais j’ai demandé au frangin le nom de toutes ces ravissantes petites fleurs. Personnellement, j’ai du mal à les retenir et désigne en général ce que je vois par “petite fleur mauve”, “clochette violette” et “plante en étoile”.)
Sous mes yeux éblouis, en cette veille de printemps : un tapis d’herbes folles, chamarré, alpage des villes à la porte de ma maison.


Le voisin qui s’occupe du jardin travaille très bien, agrémentant les bosquets, taillant ce qui doit l’être, et appliquant à la vitesse de l’éclair toutes les idées qu’on lui donne : un carré d’aromatiques vient par exemple d’être aménagé pour servir de jardin partagé : chacun peut venir y piocher de quoi agrémenter ses ragoûts et ses barbecues.
Malheureusement, comme beaucoup de voisins, il aime l’ordre et la propreté. Y compris pour la nature, qu’il cadre et régule, sans lui laisser le temps de s’ensauvager.

C’est pourquoi ce matin, au réveil, un bourdonnement m’alerte : le vrombissement de la tondeuse… Adieu muscaris, pissenlits et trèfles : ils ont été décapités, et à la place de la palette de couleurs qui pavoisait hier sous ma fenêtre, voilà une étendue verte d’herbes bien taillées, toutes à la même hauteur. Pas une tête qui dépasse. Ah ça, ça fait propre. C’est net, bien rangé. L’Homme a dompté les “mauvaises herbes”, en a fait du gazon : elles sont mises au pas, dans leur cercle de béton.

Anecdotique, vous me direz. Pourtant, cela provoque chez moi une infinie tristesse.
D’où vient-elle ? Comme m’a lancé une voisine il y a quelques temps, tandis qu’elle se plaignait de la présence d’un composteur collectif qui avait été installé à mon initiative : “Oui mais vous, vous êtes écolo !”. Cela sonnait comme une insulte dans sa bouche.
Puis-je d’ailleurs me revendiquer “écolo” ? Si je suis triste de voir les herbes éradiquées, c’est parce que je sais que les abeilles qui vont bientôt sortir ne trouveront pas les plantes de printemps qui leur permettent de se régénérer après l’hiver. C’est que je sais que l’herbe haute abrite les nids de certains insectes, est un refuge pour les bestioles, un espace nécessaire pour la biodiversité. C’est que je pressens que, dès les premières chaleurs, l’herbe si courte subira les assauts du soleil directement à la base de ses tiges, et séchera en quelques jours, ne laissant qu’une terre aride et désolée.

Pourtant, j’assume mes contradictions !
Pas plus tard que ce matin – le même matin où je me désole qu’on tonde la pelouse – je n’ai pas hésité une seconde à prendre ma voiture pour emmener mon fils au lycée… (Une sombre histoire de pigeon diarrhéique, qui a eu la mauvaise idée de se soulager sur le pull du fiston, alors qu’il attendait son bus… retour à la maison, mini drame, stress de manquer sa correspondance à la gare… la maman a pris le pas sur l’écolo, préférant 40 minutes de voiture à un voyage en bus qui aurait amené Junior en retard)
Il m’arrive, par flemme, de mettre dans la poubelle ménagère ce qui devrait aller dans la poubelle de tri.
J’ai deux chats, qui boulottent de temps en temps un oiseau (même si je m’efforce de leur sauver les plumes quand je peux), et qui sont des catastrophes à pattes (car oui, mésanges et petites souris des champs sont essentielles !).
Je vais prendre l’avion aux prochaines vacances, en ne tenant aucun compte de mon bilan carbone.
Je mange bio le plus possible, local la plupart du temps, mais si j’ai envie d’un avocat (le fruit, pas l’homme de loi), il m’arrive d’en acheter qui viennent du bout du monde.
On ne prend plus de bain pour préserver l’eau, mais il m’arrive de passer un coup de jet sur ma voiture, qui, pourtant, s’en fout d’être propre.

Bref, je suis loin d’être parfaite en matière d’écologie. Je jongle avec mes possibilités, ma capacité à changer mes habitudes, mon aptitude aussi à modifier ce qui est ancré en moi de mon enfance. Car enfin, avant, j’adorais l’odeur d’herbe coupée…
Mais avant, quand on partait en vacances, on trouvait le pare-brises plein d’insectes. Maintenant, on ne tue plus d’insectes en roulant vite, mais ça veut dire aussi qu’ils ne sont plus aussi présents dans les paysages qu’on traverse. Avant, on n’avait pas si chaud l’été, on parlait rarement de restrictions d’eau. Maintenant, le Var est placé en vigilance sécheresse dès le mois de février. Avant, les rivières débordaient de temps en temps. Maintenant, les inondations alimentent les informations tout au long de l’hiver.

Avant, on pouvait se permettre d’être insouciant. Maintenant, je ne peux plus continuer à agir comme si de rien n’était. Je sais que mes enfants auront à faire face à un monde qui n’est plus celui de mon enfance. Un monde dans lequel il devront non seulement prendre soin de la planète, mais aussi apprendre à la réparer.

Il y a quelque chose de douloureux dans cette prise de conscience. De l’incompréhension aussi, quand je constate que beaucoup, autour de moi, continuent … à tondre les pelouses.

Le vrombissement se poursuit à l’heure où j’écris ces mots. Demain, j’irai à la pépinière me procurer des graines, et semer des herbes folles dans mon petit carré de jardin. Ça ne changera pas le monde, ça ne fera pas de moi une actrice majeure de l’écologie, mais au moins, j’aurai fait ma part.
… C’est parfois difficile de n’être qu’un colibri…

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