« Karma ! » lancent mes ados de fils quand ils veulent dire « bien fait ! ». Cette semaine, des petites mésaventures leur ont fait prononcer cette parole malheureuse. Devant mon regard noir, ils l’ont vite transformée en « non mais on rigole, hein maman, en vrai, on compatit ». Mais ouais c’est ça.
Je vous raconte. Il y a quelques temps, en nous mettant au lit, nous avons commencé à entendre gratouillis et cavalcades à l’étage du dessus. Sauf que l’étage du dessus, c’est le grenier. J’ai bien pensé aux lutins de Noël, mais mon mari, plus pragmatique, m’a dit que c’était plus vraisemblablement des souris. Aussitôt, j’appelle un dératiseur qui se proposait de se déplacer pour une somme relativement modique, mais bon, quand même, en période de Noël, je préférais garder mes sous pour les cadeaux. D’autant que, comme par hasard, le soir même : plus de bruit au plafond…
Sans certitude donc que des rongeurs indésirables soient venus camper chez nous, je demande tout de même quelques conseils sur le groupe whatsapp de la copropriété. Car oui, entre voisins, on se communique recettes, demandes et offres de service par ce biais. Aussitôt, chacun de donner son avis, mais tous étaient d’accord pour dire qu’il fallait éradiquer les p’tites bêtes, si mignonnes soient elles. Une voisine propose alors de me fournir des sachets de mort-aux-rats, qu’elle emploie, nous dit-elle, à « visée prophylactique ». Quelqu’un qui réussit à caser « prophylactique » dans un groupe whatsapp est sûrement de bon conseil, en plus d’être certainement douée au Scrabble, me dis-je naïvement. J’accepte donc avec reconnaissance. En me donnant les sachets, la voisine précise : « J’en mets toujours dans mes combles, comme ça quand les souris y reviennent, elles s’empoisonnent tout de suite. Après, ça sent un peu mais c’est très efficace. »
La phrase « Après, ça sent un peu » aurait dû me mettre la puce à l’oreille. Je me hisse donc dans mes combles et je lance les petits sachets pour les disséminer sous la laine de verre floconneuse toute neuve – nous avons refait l’isolation il y a 6 mois.
Quelques jours plus tard, une drôle d’odeur flotte dans mon bureau. Après avoir accusé à tort un de mes fils de flatulence odorante, j’aère un peu mais l’odeur stagne. Et se renforce au fil de la journée. Le lendemain, la fragrance « poulet cru dont on a oublié la carcasse un jour d’août dans la poubelle en plein soleil » a envahi mon espace de travail. Nous sommes lundi, je sens (c’est le cas de le dire) que la semaine commence bien.
9h : j’ouvre en grand, l’odeur est supportable
9h15 : raah, c’est un peu casse-pied, cette fenêtre qui se rabat tout le temps
9h30 : heureusement, il fait un temps radieux et presque chaud
10h30 : oui, bon, chaud, il faut le dire vite
11h : je suis gelée et cette fenêtre est retombée deux fois sur mon épaule, à tous les coups, je vais avoir un bleu
12h : ouf, repas ; je serais assez partante pour une bonne soupe brûlante !
13h : de retour dans le bureau
13h15 : oh punaise, ça pue, quand même
14h : je fais un dernier truc et je file faire des courses
15h : je me détourne, je cherche mon sac, je rouvre en grand la fenêtre qui s’est encore rabattue et je baisse mon écran de pc sans regarder
18h : je me remets à mon ordi pour vérifier les devoirs de Nimbus numéro 2 ; je réveille l’écran : celui-ci est barré de grosses lignes verticales et horizontales
18h02 : après avoir éteint et rallumé l’ordi, toujours les mêmes traces. Je ne comprends pas et je commence à râler.
18h05 : arrivé gentiment pour voir ce qui se passait, Nimbus n°2 découvre une trace sur le côté de l’ordinateur. Conclusion : fenêtre 1 / ordinateur 0.
Le lendemain matin, me voilà à ramper dans les combles pour trouver le cadavre du rongeur. En équilibre sur les solives de la charpente, je sonde la laine de verre. Je constate qu’en voyant ce tas cotonneux, les souris ont dû se croire au Ritz car de nombreuses crottes attestent de leur présence… Après avoir manqué passer trois fois à travers le placo (et donc le plafond de mon bureau), j’abandonne. En redescendant et en pestant (simultanément, je suis multitâches), la trappe du grenier m’échappe des mains, me retombe à moitié sur le crâne et se fracasse au sol.
Bilan de la journée : un aller-retour au magasin de bricolage, un autre chez le réparateur d’ordinateur, les frais pour remplacer la trappe, ceux pour changer l’écran de l’ordinateur et… un cadavre qui se décompose joyeusement au-dessus de ma tête.
Tout ça pour n’avoir pas voulu faire venir le dératiseur. Karma !
A l’heure où j’écris, j’ai ressorti ma vieille bécane pour raconter mes mésaventures et vous distraire un peu, on perd dix degrés en montant dans les chambres à cause de la fenêtre du bureau grande ouverte, j’ai l’impression qu’une odeur de décomposition s’est incrustée dans mes narines et j’ai failli faire une syncope quand mon mari a lâché tranquillement : « oh tu sais, nous on en a eu au bureau, d’ici deux à trois semaines, ça devrait ne plus sentir ».
Karma…