J’ai un truc avec les fenêtres. Pas seulement les fenêtres, d’ailleurs, mais toutes les ouvertures. Comme des cadres vivants, brèches à travers les murs, elles m’attirent l’œil. En promenade, en visite chez des amis, en touriste dans une église, je ne peux pas m’en empêcher, quand j’en vois une, je prends la photo. Je devrais en faire un album (encore un projet qui a de fortes chances de ne jamais aboutir…).
Je ne sais pas ce qui me fascine à ce point là-dedans.
Si je replonge dans mes souvenirs, je me revois en train de rentrer de la fac après une journée de cours. Je longe les immeubles, il fait nuit, c’est l’hiver. Je dois encore rejoindre mon RER, me laisser cahoter pendant quarante minutes puis traverser mon quartier banlieusard avant de me réfugier dans la maison familiale, refuge loin de l’agitation parisienne. Mais derrière les fenêtres, carrés jaunes dans la nuit, des gens sont déjà chez eux. Je les envie, je les observe, je les espionne, puisqu’ils me livrent sans pudeur des bribes de leur vie, diffusées dans la rue par les projecteurs de leurs lampes allumées.
J’entraperçois des silhouettes qui passent, en ombres chinoises. Parfois, une lumière plus vive m’offre plus de détails : un homme est penché sur une casserole, il va-et-vient dans une cuisine, il semble parler à quelqu’un – un enfant ? – vers qui il baisse la tête. Dans l’appartement voisin, une lumière bleue pulse ses reflets sur un visage éteint. Au balcon, deux étages en dessous, une braise rougeoyante. Quelqu’un fume. Son corps est dans la pénombre mais sa main vient danser, en tapotant la cendre, dans le rayon du spot qui provient du salon. Peut-être m’observe-t-il aussi ? Je presse le pas, je baisse la tête, je ne veux pas avoir l’air d’une voyeuse.
Tous ces gens qui vivent là, dans leurs petites boîtes éclairées, sont des personnages. Vivant d’une vie qui n’est pas la mienne, évoluant dans une chaleur que je ne perçois pas, engoncée que je suis dans mon manteau, observatrice de passage dont la présence se dissipe dans l’ombre de la rue.
J’aime toujours autant profiter d’une marche dans la nuit pour contempler ces récits qui s’animent sur les écrans des baies vitrées. Seuls les chats me regardent, ils sont comme moi des témoins silencieux, perchés sur le rebord d’une fenêtre ou le pilier d’un portail, veilleurs entre la rue et la maison.
Le même mouvement me fait chercher, quand je suis dans un bâtiment, l’échappée sur un arbre, un horizon, le bleu du ciel. Chercher l’histoire qui s’inscrit forcément dehors, dans tout ce qui n’est pas limité par des murs.
Le bureau où j’écris est placé sous ma fenêtre, à l’étage, et je suis comme perchée dans les branches de mon olivier. Pendant la journée je vois ainsi défiler fauvettes à tête noire, mésanges, rouge-gorges. Une pie s’approche de temps en temps et toque à la vitre : elle doit voir son reflet sans doute. Dès que je fais un geste, elle s’envole. Au bord de ma fenêtre, je suis aussi oiseau, feuille, vent, air.
Quand quatre murs m’entourent, instinctivement, je cherche le passage pour me relier au monde. Ou peut-être m’échapper ? Me rassurer, sûrement. On n’est pas prisonnier si on a toujours la possibilité d’un envol.