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Mon fils, ce grandissant

Il passe peu de temps en position verticale. Dans sa chambre, il y a une poire qui s’étale façon flaque sur le sol et lui, par dessus, aussi mou que la tranche de salade dans un sandwich SNCF.

De la musique bruyante s’échappe parfois sous la porte. Vieux groupes de rock, valeurs sûres à base de barbus, chevelus, et autre guitar heroes. D’autres fois c’est lui qui saisit sa guitare : la sèche quand c’est l’heure de la sieste pour les petits voisins, l’électrique quand il sait qu’il ne dérangera pas. 10 minutes du même accord, pour tester sa nouvelle pédale, ou les tubes de Nirvana enchaînés en boucle. J’endure. Mais c’est comme ça qu’on progresse, alors je ne dis rien.

Il est toujours crevé, mais prévoit tout de même des sorties avec les potes. Ils ont dégoté en ville un salon de thé pour les geeks, qui fournit jeux de société gratuitement, chocolat chaud et cookies pour quelques euros. Quand on lui demande ce qu’ils ont fait, la réponse est invariablement la même : “on a chillé, on a joué, ça va, c’était cool”. Les mots “trop”, “incroyable” et “cringe” envahissent ses phrases.

Il a fait un groupe Whatsapp avec sa classe, et un deuxième groupe “de travail” parce qu’ils n’en pouvait plus de voir la mention “268 messages non lus” sur le groupe général en allumant son téléphone le matin.

Il possède sa première carte bancaire et s’émerveille à chaque fois qu’il s’en sert. Il a 200 balles sur son compte et a l’impression d’être l’oncle Picsou au milieu de son or.

Il part dans des fous rires à la moindre allusion en dessous de la ceinture mais pique un fard quand on le taquine à propos des filles de sa classe.

Il brame dès qu’on lui demande un service mais nous le rend toujours, et effectue sans qu’on lui demande toutes les tâches pour lesquelles il s’est engagé. Les poubelles de la maison sont donc sorties en temps et en heure, mais le sol de sa chambre est parfois jonché de paquets de bonbons vides, de papiers froissés, d’emballages de paquets de gâteaux. La salle de bain est rutilante mais ses étagères recouvertes d’une poussière qui doit dater de notre emménagement.

Il s’affirme comme un grand, à base de “c’est bon, je gère”, mais ne me décolle pas quand il a besoin de moi, c’est à dire vingt fois par jour.

La première phrase qu’il prononce quand il rentre, c’est “qu’est-ce qu’on mange” et la deuxième c’est “j’ai faim”. Et ce, une heure après être sorti de table. Mais il a désormais quelques bases de cuisine, et se prend pour Philippe Etchebest quand il peaufine la recette de sa sauce au fromage ; son frère est devenu son cobaye préféré pour ses expériences culinaires.

Il a grandi si vite que j’en ai le vertige, mais les séances shopping sont devenues agréables : il affine ses goûts, et se trouve “trop stylé” avec son nouveau pull. Alors tant pis si le portefeuille fait la tronche, ça valait le coup de racheter toute une garde-robe quand je le vois sourire à son reflet dans le miroir. Je n’ai pas souvenir de m’être autant aimée à 15 ans.

Il change d’humeur comme on change de chaussettes, est parfois irritable sans raison, puis gai comme un pinson, sautille partout quand il est enthousiaste, mais se traîne comme un zombie le dimanche soir – la rentrée du lundi est toujours difficile. On ne peut plus le toucher, encore moins lui caresser les cheveux mais il se jette parfois dans mes bras sans raison, pour un câlin furtif. J’en profite pour sniffer l’odeur d’enfance qui s’accroche encore un peu et m’étonne de pouvoir poser ma tête sur son épaule au lieu de l’inverse : il me domine maintenant d’une bonne tête.

J’ai entendu mille fois cette phrase, quand il était petit : “Profites en, ils grandissent si vite !”. Oui ? Et alors ? Il est maintenant non seulement ce petit qui est sorti de moi, mais aussi la somme de tout ce qu’il a été depuis. Il est cet être riche qui se construit, qui change, qui évolue à toute vitesse et devient lui-même, loin de moi.
Et j’adore faire sa connaissance, chaque jour !

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