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Totor, j’adore !

Alors que mon identité de professeur de français est derrière moi, il faut que je vous confesse quelque chose… J’ai honte mais… je n’avais, jusqu’à hier, jamais lu un roman de Victor Hugo en entier ! (bon, sauf « le dernier jour d’un condamné », mais ça ne compte pas, c’est presque une nouvelle et tout le monde le lit au collège). Pourquoi tant d’embarras, me direz-vous ? 

D’abord parce qu’en tant qu’enseignante en Lettres, je suis quand même censée avoir parcouru les grands classiques de la Littérature. Or, j’avoue, Victor Hugo n’est pas le seul à être passé à l’as. Je trouve Balzac soporifique, Proust ennuyeux comme la pluie… Malraux m’endort, Corneille (sauf « le Cid ») m’ennuie, Chateaubriand me donne envie de me pendre et Musset m’horripile. Alors attention, hein ! d’abord, je me suis quand même plongée dedans, parce que j’ai fait des études où apparemment, on considérait que 1) il était scandaleux de ne pas les avoir lus 2) toute autre littérature était à jeter aux orties. Ensuite, parce que dans le lot, certains ont trouvé grâce à mes yeux. « Madame Bovary » de Flaubert est pour moi un chef-d’oeuvre absolu, Du Bellay a écrit des poèmes d’un modernisme incroyable, et Racine des vers à vous tirer des larmes. Enfin, parce que je me suis assez vite rendu compte que résumés et abrégés suffisaient à ma culture générale… Aussi, je le reconnais, pendant mes études (et même depuis), j’avais plus souvent le nez dans un livre de SF ou dans un polar que dans un livre de Totor. 

Parce que oui, après ce long préambule, il me faut vous dire que, dans la famille, pas question de sacraliser ces grands littérateurs : nous n’évoquions Hugo que sous son petit nom de « Totor ». Ce qui aurait pu faire un bon slogan publicitaire — « Totor, j’adore ».  C’est pourquoi, quand j’ai revu dans la bibliothèque maternelle l’intégrale de son oeuvre, je me suis dit : « Allons, il ne sera pas dit que tu n’auras jamais lu un de ses romans en entier ! ». 

Hantée par la présence, dans la mythologie familiale, de Gilliatt et de sa pieuvre, me voilà donc embarquée dans « Les travailleurs de la mer ». Et quel voyage, mes amis, quel voyage ! 

J’admets, les premiers chapitres ont quelques longueurs (euphémisme). Pourtant, Totor attaque fort : présentation immédiate du héros, un marin pêcheur qui habite une maison visionnée (comprendre : « habitée par le diable ») sur l’île de Guernesey (où Victor était exilé depuis son opposition farouche à Napoléon III). Le gars est sympathique : il donne l’excédent de sa pêche aux pauvres, vit en bonne entente avec la nature, donne un coup de main dès qu’il voit quelqu’un en détresse. Avec une ironie savoureuse, Totor nous explique qu’évidemment, ces comportements semblent tout à fait suspects aux habitants de l’île, qui considèrent Gilliatt comme un marginal, infréquentable et un peu sorcier… Totor nous présente ensuite les deux autres personnages principaux : Durande et Déruchette. La Durande est la machine à vapeur qui fait la liaison entre l’île et le continent, pour le plus grand profit des habitants et du propriétaire du bateau, l’oncle de Déruchette. Déruchette, quant à elle… bon, comme toutes les jeunes filles des romans du barbu, elle est évaporée et niaiseuse à souhait, pâle copie de l’infortunée Leopoldine, la fille de l’auteur.

Le voyage devient ensuite un peu ennuyeux. Comme en croisière, les premiers jours sont exaltants et puis, à force de voir la mer, les vagues, l’horizon tout plat, on trouve le temps long. Il faut dire que Totor, entre deux rebondissements de l’intrigue, fait des descriptions interminables de l’île, ses reliefs et ses plantes, ses habitants et son histoire. Stéphane Bern y trouverait son compte mais au bout de la troisième énumération de douze lignes de tout ce qui pousse dans le potager de Déruchette, ou de ce qu’on peut ramasser sur la lande de Guernesey, la lassitude se fait sentir… 

Heureusement, le voyage prend tout son intérêt une fois le décor planté. Une intrigue presque policière se greffe sur le reste : un meurtre, du chantage, des contrebandiers, un traître qui saborde le navire de la Durande, des écueils inhospitaliers, de l’argent perdu en mer, un naufrage, un armateur au désespoir… chaque page tient en haleine. Chaque scène est épique, romanesque en diable, pleine d’excès et d’émotion. Totor y va fort, mais on le suit, emporté par l’élan.

La Durande est échouée sur un écueil presque inaccessible, en pleine mer. La machine à vapeur est intacte mais irrécupérable, coincée sur l’épave. Devant l’abattement de l’oncle ruiné, notre Gilliatt devient héros : il annonce qu’il ira, affrontant les rochers et la mer, récupérer la machine. C’est une tâche impossible, c’est du suicide, mais peu importe, on y croit. À Gilliatt est promise la main de Déruchette en récompense. Et voilà l’histoire d’amour qui rejoint l’épopée… Gilliatt réussira-t-il dans sa mission ? La Durande sera-t-elle sauvée ? Déruchette et Gilliatt finiront-ils heureux avec plein d’enfants ? La suite au prochain épisode

2 commentaires sur “Totor, j’adore !”

  1. Retour de ping : Réhabilitation de la pieuvre : le blog fil à plume d’Anne Michel

  2. Retour de ping : Totor, t’es trop fort ! – fil à plume

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